L’Importance de l’Imaginaire dans l’Existence
Parmi mes nombreuses expériences depuis que je suis en Afrique, j’ai vécu deux phénomènes qui me subjugent subitement. L’année dernière, j’ai à maintes reprises éprouvé des moments précédant l’endormissement, quand, les yeux fermés, je percevais des images se formant dans mon esprit en l’absence de stimuli extérieurs et involontairement.
J’attribue l’événement au fait que je n’avais pas de télévision et que faute de ce médium véhiculant des images et des sons, je me suis inconsciemment recréé l’outil auquel je suis habituée avec mes propres moyens : la pensée. Les images évoquées étaient celles de choses que je connaissais, tels que des vêtements, objets qui devaient certainement également me manquer d’une manière ou d’une autre.
Une différence majeure entre l’humain et l’animal, m’a appris un professeur de l’Université Libre de Bruxelles, est la capacité du premier à se référer à une chose ou une personne qui est absente – d’où le développement de notre communication – alors que le second ne le peut pas.
Réfléchissez à ces instants où, alors que vous êtes seul, vous adressez la parole à une personne, connue dans de nombreux cas, mais qui n’est pas présente à ce moment-là.
J’ai récemment regardé un programme télévisé de la British Broadcasting Corporation (BBC). Il s’agissait d’un documentaire sur les origines de l’art dans lequel l’auteur datait la naissance à la Préhistoire. Qu’est-ce qui caractérise l’art ? La création, elle-même pouvant se définir comme l’expression d’une pensée via un médium, soit un moyen d’expression, le processus résultant en un produit de l’esprit.
Pour étayer sa thèse, le journaliste visitait les grottes abritant des dessins rupestres. En France je crois. Il cherchait à démontrer qu’au lieu de reproduire directement par exemple un animal, les hommes d’autrefois peignaient ce qu’ils connaissaient et avaient vu dans leur environnement par le souvenir, donc grâce à une capacité mentale de se former l’idée de quelque chose d’absent.
L’argument principal du documentaire résidait en ce que les tâches parsemant les animaux représentés sur les parois ne pouvaient orner le pelage des créatures de l’époque au lieu où l’on avait découvert les peintures. Or, des expériences scientifiques contemporaines rapportées par le journaliste montrent que des tâches apparaissent dans la vision lorsque l’on se trouve dans certaines conditions. Qui ne se souvient pas avoir éprouvé pareille sensation quand pris de vertige.
Donc, l’artiste qui décorait les parois des cavernes subissait une sorte d’hypnotisme. Dès l’instant où il pénétrait dans la grotte, même après la découverte du feu, il se trouvait plongé dans l’obscurité et privé de la lumière du jour, qu’avait baigné ses yeux auparavant, sa vision s’obscurcissait.
Cette expérience m’est arrivée à moi aussi pas plus tard qu’hier : après être allée saluer un ami dehors je suis rentrée brusquement dans ma chambre ; il m’a fallu près de trente secondes pour me réhabituer à l’assombrissement de la pièce tandis que ma vision se brouillait de gros points noirs.
Beaucoup de déductions et de questions découlent de cette constatation. La première affirmation est que les humains, êtres créateurs, ont besoin d’imaginaire pour s’épanouir en donnant un sens à ce qui les entoure. L’art, sous toutes ses formes, contribue à modeler et communiquer les significations. La télévision contemporaine ne constitue en fin de compte que la lointaine descendante des peintures rupestres. Est-ce que celle-la ne va pas finir par tuer le talent de pensée et d’expression de la majorité en lui vendant des images préfabriquées ?
Une question que je pose est "dans quelle mesure le concept de Dieu dépend de la faculté des hommes à imaginer, concevoir et inventer, raconter ?". Si les mythes sont de pures créations humaines, bien que proches de la réalité, qu’en est-il de la Bible, du Coran, des dieux, etc. ?
Ma conclusion est qu’il faut croire en l’être humain, dans ses capacités et potentialités. Le divin semble en émaner. Malheureusement, les humains invoquent des idéologies et des dogmes pour combattre leurs semblables. Au nom de causes "dérisoires", ils tuent, pillent et détruisent l’environnement qui non seulement nourrit l’estomac mais aussi l’imaginaire.
Enfin, je pense que je réussis à cerner les défis qui peuvent expliquer ma tendance à la déprime et la solitude, symptômes intriqués. Les conditions de la modernité, telle qu’une carrière professionnelle, semblent réduire le temps alloué à la création ; la société valorise moins l’art que l’argent en soumettant le premier au second. La solitude a du bon en ce qu’elle aide à préserver mon imaginaire, le reste se résumant trop souvent à de la distraction.